Pour vivre avec les autres et non à côté des autres

 

"Plus on donne, plus on reçoit ", cette maxime a pris tout son sens et bien plus lors de ce reportage au cœur de la vie des résidents handicapés du centre d'accueil dans l’un des centres de l’Association KERVIHAN à Bréhan dans le Morbihan dédié à l’accueil d’enfants et d’adolescents handicapés.

 

J'ai eu la chance de partager de façon très intime leur quotidien, leurs joies et leurs peurs et de découvrir leurs maladies. Leur monde est au croisement de celui de l'enfance avec cette spontanéité et cette naïveté que nous aimerions tous garder et de celui de la folie ou de l'angoisse qui les isole toujours de notre univers cartésien et rigoureux.

 

 

Loin des codes, des principes, de la retenue policée de nos sociétés, toutes ces personnes m'ont ouvert avec générosité les portes de leur intimité, m'ont accueilli avec une joie démonstrative, ont joué le jeu de la photo décalée....m'ont intégré dans leur univers sans retenue. J'ai choisi ces quelques images pour transmettre toute cette joie et expliquer ce don absolu de soi que j'ai vécu en plein cœur.

 

 

Ce projet m’a tout d’abord mené de nombreux matins vers Kervihan, petit village situé à Bréhan en Morbihan qui voit arriver chaque lundi matin un ballet de voitures qui amènent à l'internat, enfants, adolescents et adultes lourdement handicapés. L'Association KERVIHAN accueille et accompagne 225 enfants, adolescents ou adultes, polyhandicapés ou atteints de troubles envahissants du développement. Pour répondre au mieux aux besoins de chacun et aux attentes de leurs parents, sept établissements et services proposent dans le Morbihan des structures d’accueil diversifiés et complémentaires qui permettent un accompagnement continu pour tous les âges de la vie. L'association, acteur économique et social reconnu, emploie plus de 300 professionnels qui exercent plus de 15 métiers différents, nécessaires à un accompagnement adapté de tous les résidents.

 

Les symptômes du handicap mental sont nombreux mais se repèrent notamment par une perte de contact avec la réalité et une absence réelle de désir d'entrer en relation avec l'autre. Ces handicaps se manifestent soit par des comportements de retrait (autisme) soit, à l'opposé, par des attitudes envahissantes dans une recherche de contacts fusionnels à l'autre. S'ajoutent à cela des difficultés de compréhension, une incapacité à supporter les frustrations qui génèrent souvent des angoisses importantes... Ces moments de profond malaise et d'intenses souffrances, amènent ces personnes à adopter des conduites aussi soudaines qu'incontrôlables comme les agressions verbales, ou plus souvent physiques, sur l'entourage ou sur elles-mêmes.

 

 

Lorsque le diagnostic du handicap est annoncé aux parents, une foule de questions se posent mais la gestion du quotidien - des gestes d'hygiène, des relations avec les autres frères et sœurs, du temps à consacrer à ces enfants - revient de façon lancinante. Comment être un bon père ou une bonne mère avec ces enfants ? Comment exercer sa mission d'éducateur tout en respectant son enfant ? Que faire lorsqu'il sera adulte ? L'IME Les Enfants de Kervihan apporte une partie des réponses à ces questions : c'est un lieu qui accueille enfants et parents dans des espaces de vie clairs et gais, ouvert sur la nature, et qui donne envie d’y vivre.

 

Aux Enfants de Kervihan, les six unités de vie sont réalisées en petites maisons reliées par un couloir central sur un superbe terrain arboré ; des petites maisons comme les autres si on oublie ces portes coulissantes en forme de sas où il est indiqué clairement qu'il faut expressément attendre que les unes soient fermées pour ouvrir le sas et pénétrer dans les lieux. Lorsque vous entrez pour la première fois, vous sentez immédiatement que votre présence est ressentie comme une intrusion, un éventuel danger, une remise en cause brutale de codes et de repères minutieusement acquis. Les regards se figent, les mains se crispent, des cris à vous déchirer les tympans retentissent et ce sont vos repères à vous qui vacillent.

 

Avec douceur et bienveillance, le personnel vous guide alors dans les méandres de ces maladies et de ces enfants malades pour vous aider à les comprendre et à les accepter comme ils sont, dans toute leur humanité. Ce chemin vous oblige à remettre en cause votre idée de la relation à l'autre, votre conception de l'être humain et de son rôle social.

 

 

Mathilde, monitrice-éducatrice, explique que l'objectif est de s'adapter à chaque enfant, à chaque adolescent, à chaque adulte et de l'accepter comme une personne unique, avec des attentes et des besoins spécifiques. Avec ses collègues, sans relâche, elles essaient de créer une ambiance qui favorise l’éclosion d'une relation individualisée pour ces enfants dont l'énergie, les envies, les élans restent prisonniers de leurs handicaps moteurs et psychiques.

 

Kinésithérapeutes, ergothérapeutes, soignants, tous portent une attention particulière au bien-être et au confort de leurs résidents dans les manipulations quotidiennes et malgré les postures imposées par des prothèses, ils cherchent à atténuer la souffrance et surtout à leur offrir LE contact au monde dans toutes ses dimensions, dans toutes ses sensations : pour les enfants en particulier où le rire, la joie, les chatouilles, les grimaces et les bêtises ont toute leur place.

 

Bien sûr, le projet éducatif est également une préoccupation importante et il s'agit d'inventer perpétuellement des activités pédagogiques qui s'adaptent à la relation, aux sollicitations, et aux compétences actuelles des résidents. Comme l'écrit Denyse Lyard, co-fondatrice de l'association " A la notion de progrès, je préférais la capacité à être bien, et que fasse la vie …"

 

 

Ecouter, comprendre les résidents, les sécuriser et les rassurer dans un environnement agréable où des activités stimulantes sont proposées, leur donner l'occasion à tous de devenir "acteur" et de se trouver une image valorisante de soi.

 

Disponibilité, patience, persévérance sont les qualités qui guident le travail de tous les accompagnants. Ils permettent ainsi à chacun d'avancer à son rythme, de réussir son projet même le plus anodin à nos yeux, tout en autorisant les régressions éventuelles et nécessaires qui jalonnent leur évolution. Pour vivre avec les autres et non à côté des autres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte et photographies de Michel JAMONEAU